On a le plus souvent présenté Fénéon - celui qui «silence» - écrivait Jarry comme un personnage énigmatique, aux aspects multiples et indéchiffrables. À la complexité de son caractère s’ajoutait le personnage mystérieux qu’il se plaisait à jouer. Il correspondait à limage du dandy tracée par Baudelaire, dont il connaissait les œuvres presque par cœur. À partir de 1883, date de sa première publication, Fénéon participa activement aux trois mouvements qui bouleversaient l’art et la société l’impressionnisme, le symbolisme et l’anarchisme montrant que ces mouvements si différents étaient animés par un commun idéal, celui de libérer l’individu de toute contrainte, quelle fût artistique ou sociale. Pendant une vingtaine d’années il collabora à quantité de revues, parmi lesquelles La Libre Revue, L'En Dehors et La Revue blanche, dont il fut le rédacteur en chef de 1896 à 1903. F. F. entra au Matin en mai 1906. «Seul journal français recevant par fils spéciaux les dernières nouvelles du monde entier», Le Matin publiait une rubrique de faits divers, «Nouvelles en trois lignes» depuis 1903. C’est dans cet elliptique condensé de faits divers que l’anarchisme de Fénéon s’exprime sans doute le mieux, en inventoriant sans indignation ni commentaire, juste la distance de l’ironie, les morts de misère, les guillotinés, les suicides dans l’armée, les ridicules ecclésiastiques, laïques et républicains.
EXTRAIT
Dans un café, rue Fontaine, Vautour, Lenoir et Atanis ont, à propos de leurs femmes absentes, échangé quelques balles.
Il avait parié de boire d’affilée quinze absinthes en mangeant un kilo de bœuf. À la neuvième, Théophile Papin, d’Ivry, s’écroula.
Ivre, P. Mérinier, de Vigneux, frappa d’un échalas Cocot, qui l’emmenait du cabaret. Cocot l’assomma d’un coup de binette.
À peine mariés, les Boulch, de Lambézellec (Finistère), étaient déjà tellement ivres qu’il fallut les coffrer sur l’heure.
À boire ! criait Ducharle, qu’on appelle aussi Bamboule, et, sur refus, il fracassa de cinq balles les fioles d’un café de Corbeil.
Il n’y a même plus de Dieu pour les ivrognes : Kersilie, de Saint-Germain, qui avait pris la fenêtre pour la porte, est mort.
Chez un cabaretier de Versailles, l’ex-ecclésiastique Rouslot trouva dans sa onzième absinthe la crise de delirium qui l’emporta.
Bien ivre, Langon, de Sceaux, rencontra sa femme et, comme elle se faisait acariâtre, il lui martela le crâne à coups de clefs.
Sommés de se rendre, des contrebandiers qui amarraient à Boulogne une barque d’alcool se sont retirés à la nage.
M. Bourdalet buvait frais à la terrasse d’un café de Clichy. Un quidam le somma de l’abreuver, et, sur refus, lui taillada la face.
Donatien Renaud, d’Esnandes (Ch.-Inf.), est mort carbonisé au violon municipal où, ivre, il avait mis le feu.
Dans un débit de St-Ouen, Monetti et Vimori ont percé de leurs couteaux Souris et Belin. (On leur réclamait de l’argent.)
Il fallut dix-huit soldats gaillards pour affranchir Paland, un poivrot qui, brandissant son poignard, voulait sévir dans Pantin.
Foringer dit Rothschild, chiffonnier pantinois, rentra ivre, vida un litre de vin malgré son fils et le lui brisa sur la tête.
Ayant bu sur tous les zincs de Montreuil, Maxime Content, pour clore la fête, a fendu la tête à son ami René Vest.
C’est un ouvrier jardinier, Podevin, qui viola, le 5, Mlle Paulin, aux Mureaux. Comme son nom l’indique, il est alcoolique.
Rentrant au logis, le laboureur Vauthier, de la Chapelle-au-Bois (Vosges), y trouva sa femme ivre et vertueusement l’étrangla.
Clé entra dans un débit de Romainville. Il menaçait. Le patron lui servit une balle dans la tête.
Folâtre ivrogne ; H. Pierre, l’autre jour, déchargeait à Remiremont son revolver sur les factionnaires. Il est sous les verrous.
Ivres, des conscrits envahissent certaine maison close de Longwy. Tumulte, rixe. Et la tenancière est tuée à coups de couteau.
Après boire, Brière, rempailleur à Fougères, discute avec sa femme, puis il l’étrangle. Son habitat ? Rue de la Pinterie.
Panique au café Félix, à Balbigny (Loire) : une boule y explosa, brisant maintes vivres, mais ne blessant personne.
À Montreuil, M. « La Cuite » et Mlle « Nénesse » ont reçu des balles offertes par M. Chevallier. Ceci après boire.
Les Blonquet suaient l’alcool. Un cabaretier de Saint-Maur osa leur refuser à boire. Ils le frappèrent d’un poignard indigné.
Plus expert à boire qu’à nager, Louis Sedaigre, de Buc, se lance dans la Bièvre. Congestion. Il se noie.
Après l’absinthe multi-quotidienne, Socquet, caporal à Rochefort, prit son fusil et s’abîma gravement.
L’errant Mercier coucherait à Neuilly dans une maison en construction. Nulle rampe à l’escalier, et il était ivre. Chute : 10 mètres.
MARQUE DE FABRIQUE
Intérieur impression noir sur Journal amélioré. Couverture impression noir et blanc en sérigraphie, sous jaquette/affiche : Le président Lincoln, le détective Pinkerton et le général MCClernand. Index Abattoir à Zingueur. Encart sur papier cristal autoportait Fénéon. 5 cartes postales.