Ernest Cœurderoy, né en 1825 à Avallon dans l’Yonne, est mort suicidé en 1862, à trente-sept ans, de s’être ouvert les veines, en exil près de Genève. Docteur en médecine, républicain avancé, Ernest fut aussi journaliste, écrivain, révolutionnaire. Il ne se remit jamais de l’échec de février 1848 et du sang ouvrier versé sur les barricades de juin. C’est à Londres, en 1854, que Cœurderoy publie Hurrah!!! ou la révolution par les Cosaques. L’idée de révolution par le dedans est morte en juin 1848, estime Cœurderoy. Désormais il faut attendre la révolution du dehors, elle descendra du Nord, des steppes russes, à bride abattue sur les chevaux cosaques. Le vieux monde est vermoulu, il s’écroule, le passé est un champ de ruines, l’avenir qui surgira de la table rase sera lumineux. Les temps sont proches, prophétise Cœurderoy: Je vois l’armée du Nord entrant à Paris avec ses canons en avant, enseignes déployées, lances au poing, innombrable, orgueilleuse, encore tachée de sang.
Cœurderoy doit s’exiler à partir de juin 1849, nomadisme répétitif des proscrits: la Suisse, Bruxelles, Londres, l’Espagne, l’Italie, enfin à nouveau la Suisse où il se tue. Il va forger ce qu’il appelle son «idée cosaque», c’est-à-dire l’idée-fixe que la révolution morte en juin, le renversement de l’ordre ancien ne peut plus surgir du dedans mais seulement du dehors par l’invasion des cosaques. On retrouve cette obsession dans Jours d’exil, souvenirs, mémoire vivante de l’exilé, sa course, ses rêves, ses cauchemars, sa solitude: «l’exilé partout est seul», publiés en 1854, réédités en trois volumes en 1910 et dont sont proposés des fragments au lecteur du xxie siècle.
EXTRAIT
Que ceux qui ne comprennent point l'utilité de ces lignes, ferment ce livre. Que ceux qui les trouvent dégoûtantes de cynisme, le déchirent. Que ceux qui n'ont d'opinion que par autrui le traduisent, comme les précédents, devant les tribunaux démagogiques. Que ceux à qui mon nom fait horreur, le brûlent. Que ceux qui aiment la franchise, le parcourent. Il n'en ira ni plus tôt ni plus tard où vont toutes choses, au grand tas.