La Baye, pièce écrite par Philippe Adrien, jeune auteur de théâtre qui devait par la suite se consacrer avant tout à la mise en scène et à l’enseignement, fut créée le 28 juillet 1967 au Festival d’Avignon dans une mise en scène d’Antoine Bourseiller. Dans un pavillon en bord de mer, la famille Louis se prépare à recevoir la famille Jean. Tous les Louis s’appellent Louis : le père (Louis), la mère (Louise) et les cinq enfants (Louisette, Gros-Louis, Petit-Louis et les jumeaux, Louison-elle et Louison-lui). Tandis que, selon le même principe, tous les visiteurs s’appellent Jean. Ce dimanche commence mal : le repas n’est pas prêt, la table pas mise, la mère se désespère, le père ne fait rien, et les enfants font les enfants.
EXTRAIT
LOUISE
D’abord faut s’habiller— on ne peut pas les recevoir comme ça— faut s’habiller
LOUIS de plus en plus immobile
C’est ça il faut s’habiller— c’est ça
LOUISE de plus en plus agitée
Alors habille-toi reste pas comme ça en pied de marmite— dégrouille— dégrouille— habille-toi— tu vas quand même pas recevoir les Jean dans un état pareil — et puis rien n’est prêt on n’a rien à bouffer rien n’est cuit— les courses sont pas faites et tout est fermé— tout va être fermé oh la la— tout est fichu— pour une fois qu’ils viennent on va même rien avoir à leur donner à bouffer oh la la ça va faire bon effet— et dire qu’on n’est même pas habillés et les Jean qui ne vont pas tarder— faut faire avec ce qu’on a avec ce qui reste il doit bien rester quelque chose— y a qu’à faire avec ce qu’y a y a pas moyen de faire autrement— reste pas là en pied de marmite— fais quelque chose— habille-toi— y a les Jean qui viennent— t’as compris— si ça tombe ils vont sonner à la porte d’un moment à l’autre— ça se pourrait bien qu’ils soient déjà là— on va les entendre sonner et rien n’est prêt— tu comprends pas— on est dans de beaux draps— ça on va avoir l’air de quelque chose avec les Jean
LOUIS
Ben oui
LOUISE
ben—oui—ben—oui tu sais dire que ça c’est pas le moment toi t’es toujours pareil c’est au moment qu’il faudrait faire quelque chose que tu sais plus par quel bout le prendre— et moi je suis là et je devrais être à la cuisine— à mes fourneaux en train de faire cuire en train de cuire— je devrais être à cuire à ma cuisine — Il faut bien qu’ils bouffent il faut qu’on leur fasse à bouffer — faut que je me mette à faire à bouffer— c’est ça— je vais faire avec ce qu’y a avec ce qui reste— mais il faut s’habiller aussi— ils vont encore arriver et je vais être à ma cuisine à mes fourneaux en train de cuisiner dans ma cuisine et de tout préparer et ils vont arriver et je vais même pas être prête je vais même pas être habillée— c’est toi tu t’occupes pas tu t’occupes de rien— il faut que je sois partout— mais habille-toi au moins t’es là que tu tournes
Louis immobile
arrête de tourner et habille-toi que t’aies au moins ton beau costume ta belle chemise ta belle cravate ton beau pardessus ton beau chapeau tes beaux souliers— pour quand les Jean vont arriver— il faut que tu mettes tes beaux souliers— tu ne vas pas encore mettre tes vieux souliers— ne me dis pas que tu vas mettre tes vieux— je ne veux plus te voir avec ces ordures-là aux pieds— ah non— moi je me ferai un sac dedans mais je ne veux plus te voir avec surtout avec les Jean lui qu’est toujours si bien fringué— non tu mets tes nouveaux souliers t’as compris
LOUIS
Je suis mieux dans les vieux.