Orphelin à l’âge de six ans, André Baillon est placé en pension chez les jésuites. Après des études mouvementées, il renonce au métier d’ingénieur, devient anarchiste, s’affiche avec une prostituée. Il joue, il perd. Il dilapide sa fortune, se jette à la mer. On le sauve. Il ouvre un café, rencontre Marie et se lance dans l’élevage de poules. Un quotidien bruxellois l’engage comme rédacteur de nuit. Il quitte Marie pour Germaine. À partir de 1919 il publie entre autres Histoire d’une Marie, Moi quelque part, Le Perce-Oreille du Luxembourg. Commence alors pour Baillon une période d’intense activité littéraire également marquée par les progrès définitifs d’une folie qui finira par l’achever. En 1923, paraît Zonzon, nommée Pépette. Cette Zonzon-là, formée à Belleville, est l’une des plus belles fleurs de bitume de la littérature francophone. Plus que leste et bien informée, Zonzon n’a pas d’autre prétention que de vivre libre et tranquille. Hormis les rivalités entre filles pour s’accaparer un chouette julot, hormis les coups de surin et les cambriolages où il faut couvrir les copains, entre marlous on s’entend. Nous, vois-tu, on est des loups. Et puis Zonzon elle a son truc qui résonne tout à trac: Toi, je t'emmerde qu'elle dit Zonzon.
J’ai été l’ami d’André Baillon avant qu’il soit le mien. Je n’avais pas beaucoup d’argent et j’achetais des livres. Il fallait me priver d’autre chose. Chaque fois je choisissais soigneusement le titre, le nom de l’auteur. C’est d’ailleurs pour- quoi pendant longtemps j’ai seulement acheté Homère, Eschyle, Sophocle, Aristophane, Cervantès, Goethe. Puis j’ai cherché des amis autour de moi. J’ai acheté Histoire d’une Marie, en réduisant ma ration de tabac. Quand j’ai acheté Un Homme si simple et Zonzon Pépette je pouvais déjà le faire sans porter préjudice à ma pipe. Puis, André Baillon m’a envoyé les autres livres et sur la première page il avait écrit: À Jean Giono, et enfin: À mon ami.
Jean Giono
EXTRAIT
Au cercle tout marcha bien. Le type, un gros Angliche, lui donna deux guinées et ne se rhabilla pas si vite qu’elle n’eût auparavant le temps de lui chiper son portefeuille. Elle lui laissa sa montre, parce que, demain, il y aurait encore des montres. Son coup fait, elle pensa, comme au temps de Paris:
— Salaud, je t’emmerde.
Elle n’eut pas à remettre de chapeau; elle n’en mettait jamais. Un coup de pouce au chignon, un coup de poing à la jupe, les mains au tablier où sont les poches, puis en route. Dans la rue, elle se dépêcha pour rejoindre son homme. Quand il ne la suivait pas, elle savait où le trouver: au Cercle, avec les copains. En chemin, près de la Tamise, elle rencontra le policeman qui, un jour,l’avait coffrée; lui ou un autre. Comme elle marchait vite, il ne pouvait rien lui dire. Elle avait, pour les flics, des idées très précises. Elle tourna la hanche:
—Toi, je t’emmerde!
Ouf! ce qu’elle suait dans ce cochon de Londres! Dans ces ruelles, les gens couchaient par terre, et pas tous sur des paillasses: il y avait des hommes avec des femmes, des vieux, des jeunes, des nichées de pauv’gosses. Cela puait le poivre. Cela puait aussi comme dans une chambre après l’amour. Elle constata ce qu’elle constatait tous les jours: que beaucoup de ces femmes étaient jeunes, avec de bonnes cuisses et de cette chair encore verte qui plaît aux hommes.
MARQUE DE FABRIQUE
Couverture marquage à chaud rose, tranches or, couture fil rouge, portrait André Baillon et un bouquet final.