Unique bâtiment de ce type, l’Albatros est un ancien chalutier congélateur, le Névé. Acheté par la Marine nationale en 1983, il est dédié à l’exercice de l’«Action de l’État en mer». En 2008, il est détaché quelques semaines auprès de la mission Atalante, qui déploie plusieurs navires de guerre dans la lutte contre la piraterie somalienne.
EXTRAIT
La vie d’un équipage militaire, pour une très grande part, se passe en entraînements à des situations dramatiques qui vraisemblablement ne surviendront jamais. Telles, par ordre croissant d’improbabilité, l’homme à la mer, le feu à bord – parmi toutes ces situations, c’est celle qui fait l’objet des entraînements les plus systématiques –, la voie d’eau et la guerre. (…) Compte tenu de la modestie de son armement, et de la nature des missions qui lui sont dévolues, l’entraînement guerrier de l’Albatros se limite en général au « poste de combat manœuvrant sous menace asymétrique » : en clair, il s’agit de contrer une attaque telle que peuvent en lancer les pirates somaliens – ou d’autres emmerdeurs « asymétriques » à bord de petites embarcations.
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Ainsi l’humeur est-elle joyeuse, à la passerelle, lorsque dans la matinée du 29 novembre, après avoir effleuré le 50e parallèle, l’Albatros s’engage dans la délicate «Navres» (navigation en eaux resserrées) qui doit le conduire à son mouillage de Port-Jeanne-d’Arc, dans la passe dite de Buenos-Aires. S’agissant des Kerguelen, on peut dire que le temps est clément: la mer est grise et blanche, écumante, le ciel tantôt clair et tantôt chargé de nuages, balayé à intervalles irréguliers par des rafales de neige fondue. Comme à l’accoutumée, au moins depuis huit jours, le bateau est escorté par une troupe plus ou moins nombreuse de pétrels géants et d’albatros appartenant à différentes espèces—hurleur (ou grand albatros), à sourcils noirs, à bec jaune, à tête grise ou fuligineux—que MM. Bouteillon et Crézé, les deux meilleurs ornithologues du bord, n’ont aucun mal à distinguer. Cependant que le dernier cité reporte sur une vitre de la passerelle, au feutre bleu, le tracé de la Navres, avec un soin qui fait de ce dessin, sur son support transparent, une véritable œuvre d’art, M.Tortora, le chanteur, évoque Dieu sait pourquoi—peut-être a-t-il été question d’organiser un méchoui au mouillage—«un petit cochon rôti»: et, ce disant, il fait le geste de tenir à l’horizontale, par ses deux extrémités, un porcelet embroché, et de le dévorer de bout en bout, comme on joue de l’harmonica.