La construction de ce livre est évidente; il s’agit d’un alphabet, ou plutôt d’un abécédaire: 27 lettres ornementales, dont cet étrange R barré entre E et F, sept lignes d’un poème de Thomas Nashe; or cette lettre étrange, symbole de prescription médicale, nous dit que «la beauté n’est que fleur». Sorrentino tente de redonner grâce à la beauté, une beauté tombée en disgrâce à force de vouloir lui donner un sens, et on retrouve dans ce livre toute son ironie déversée sur l’art prétentieux, l’art message, l’art social, les «artistes». Sur cet alphabet qui peut paraître complètement aléatoire, l’auteur, en grand amateur de jazz, joue des riffs; certains, comme si souvent en jazz, sont déjà présents dans les livres précédents de Sorrentino et se retrouveront dans ses livres postérieurs, sa nostalgie sans sentimentalisme de l’Amérique de sa jeunesse, Sheila Henry, les listes, l’artifice qu’est la création littéraire, son refus de présenter des personnages à trois dimensions bien campés, etc., et justement, les musiciens de jazz, de Clifford Brown à Lester Young.
EXTRAIT
L’écrivain — un écrivain voudrait rendre le sens exact, sinon pourquoi faire? Les calages précis sont magnifiques, vraiment. Le romancier en vogue s’intéresse aux bords duveteux, on obtient un «ton». On obtient un «sentiment». Et puis il y a ceux qui riment leurs dialogues, les assassins subventionnés de la précision. Les ineptes, les poètes en résidence permanente. Ils demandent au poème de régler jusqu’à leur vie, ils se fragmentent et meurent dans les soirées, envoient des bandes d’étudiants à l’assaut de l’ignorance avec l’erreur comme seule arme. L’erreur aiguisée et prête à l’assaut! Donnez-leur des prix annuels, je vous en supplie.
MARQUE DE FABRIQUE
Couverture marquage à chaud or, tranches rouges, couture fil rouge.