Dernier livre de Sorrentino, Abyss of human illusion (citation de Henry James) fut publié après sa mort en 2007. Il se compose de cinquante courts récits.
Il s’assit et observa la mer, qui lui apparut toute en surface et en scintillement, bien plus superficielle que l’esprit humain; c’était l’abîme de l’illusion humaine qui constituait la véritable profondeur, agitée d’aucune marée.
EXTRAIT
xv.
L’homme était sexuellement et émotionnellement attiré par les jeunes mères et avait passé sa vie adulte à les poursuivre et, quand il le pouvait, à les séduire; il avait laissé beaucoup de décombres derrière lui. Il rencontra une femme, mère de deux enfants, sept et cinq ans, une femme qui était l’épouse d’une de ses connaissances. Ils «s’enfuirent ensemble», comme on disait, abandonnant les deux garçons à leur père, qui était, comme on pouvait s’y attendre, en colère, abasourdi et qui, pour l’instant, avait le cœur brisé. Le nouveau couple ne tarda pas à avoir un enfant, mais le fait que la jeune femme était à présent la mère de l’enfant de son séducteur ruinait tout pour lui, et il partit un jour dans leur vieux break Ford, un monstre citron vert pâli par le soleil qui aurait très bien pu servir de triste pion pour leur amour mort. Il prit $147,34, tout l’argent qui se trouvait dans la boîte à café dans le réfrigérateur du minable appartement de St. Louis où ils vivaient, tout l’argent qu’ils possédaient. Personne parmi les gens qui les avaient connus à New York ne découvrit jamais pourquoi ils étaient partis à St. Louis, et quand la jeune femme retourna, amère et humiliée, chez son mari et les deux enfants plus âgés, elle ne le leur expliqua pas, excepté de vagues références à «des postes d’enseignants». Son mari, ce qui se comprend sans doute aisément, traitait le nouvel enfant comme s’il était un visiteur éprouvant qui disparaîtrait bientôt comme par miracle. Quant à son épouse, il la voyait comme une bonne stupide que, de temps en temps et avec douceur, pensait-il, il violait.