Dans une petite ville de province (elles le sont toutes, petites, et toutes de province), un monsieur très correct et d’apparence inoffensive souffre un peu du foie et souffre beaucoup plus de la bêtise, de l’égoïsme, de la sadique bienveillance qui sont les vertus traditionnelles de ses concitoyens. Il pourrait fuir, mais tout le retient-dans cette ville d’un Midi légendaire. Il pourrait se jeter dans l’alcoolisme ou dans la petite rivière désespérée qui coule sous les ponts de cette ville ; il pourrait vivre un grand amour, collectionner les boutons de manchettes ou les perversions sexuelles. Mais non : puisqu’il possède un stylo à bille, une belle imagination et qu’il a déjà rime des stances à Ninon, il écrit L’Honneur de Pédonzigue. Humour de casseur d’assiettes, délire verbal, lyrisme de fin de banquet, poésie burlesque ou burlesque poétique, érotisme de belle humeur, invectives d’égoutier, il y a tout cela dans ce livre assez surprenant, tout cela et aussi un anarchisme petit-bourgeois qui revient à la mode avec l’ère atomique et ses enivrantes perspectives.
L’Honneur de Pédonzigue n’est pas un roman. C’est, aux dires de son auteur, une «épopée» dont la prosodie est singulière: chacune des phrases se décompose en groupe de six syllabes, sonne comme un alexandrin avec rimes internes. Pourtant, il s’agit bien d’un roman de la médiocrité, d’une fresque de la bêtise et de la vanité. La bourgade qu’il nomme Pédonzigue est un condensé de la France franchouillarde, celle de petits boutiquiers, des intelligences stériles, des petits appétits. Rabiniaux sélectionne les «caïds», les marlous et les notables, leurs épouses adipeuses, leurs filles, «les bavasseux mendigots», les candidats à tout, les compromis et les esthètes à cent sous. «C’est toute la nuit Pédonzigue: des crimes, croquignets, dodus, des amours qui n’en sont plus, des vieux qui n’en peuvent pas plus, de jeunes déjà rompus, du gros pourrissoirs à vertus et des innocents bien foutus».
Éric Dussert, Le Matricule des Anges, n°37.
MARQUE DE FABRIQUE
Couverture impression thermorelief, dessin Maurice Henry, tranches couleur prune, couture fil rouge.