Chacun de ces trois contes débute à Londres, où Melville se rendit en 1849 : il dîne au 4, Elm Court, Temple, le 19 décembre (Le Paradis des célibataires), voit Macready dans Othello au Haymarket Theater le 19 novembre (Les Deux Temples) et visite le Guildhall le 9 novembre (Les Miettes des riches) ; cependant, chacune de ces scènes, toute précise qu’elle soit, se trouve transformée, colorée, métaphorisée par son pendant – son double – qui est tiré de la vie de Melville aux États-Unis. En lisant ces textes, en constatant leur symétrie, en acceptant de passer de l’autre côté du miroir, le lecteur se met graduellement à découvrir, puis à apprécier l’ironie de l’auteur, son regard acéré d’oiseau de proie capable de discerner toute l’hypocrisie que recèle l’homme «social».
EXTRAIT
Je me trouvai immédiatement dans un vaste espace, intolérablement éclairé par de longues rangées de fenêtres qui dirigeaient vers l'intérieur le spectacle de neige du dehors.
Devant des rangées de comptoirs blanchâtres étaient assises des rangées de jeunes filles blanchâtres, avec des cartons blancs dans leurs mains blanches toutes occupées à plier du papier blanc.
Dans un coin se dressait un immense cadre de lourde fonte, où un objet vertical pareil à un piston s'élevait et retombait périodiquement sur un lourd bloc de bois. Devant lui - serviteur soumis à la machine - se tenait une jeune fille de grande taille, occupée à nourrir l'animal de fer avec des demi-mains de papier à lettres de teinte rose dont chaque feuille, à chaque coup de tampon de la machine-piston, était marquée dans un coin d'une guirlande de roses. Mon regard passa du papier rosâtre à la joue blafarde, mais sans rien dire.